Notre relation à l’argent est une manifestation privilégiée de notre relation au réel
Il y a l’argent que l’on gagne, celui que l’on dépense, celui que l’on épargne et celui que l’on doit. L’argent joue un grand rôle dans notre existence et oriente nos pensées et souvent nos valeurs.
Aujourd’hui, l’argent est principalement dématérialisé. Il n’est souvent qu’un montant sur un compte. Dans le passé, l’argent était d’abord du métal. Le plus recherché était l’or. L’or est le signe manifeste de la richesse, du pouvoir sur la matière. Même si l’argent est devenu immatériel, il a gardé son pouvoir et son lien avec la matière, en fait le réel. Notre relation à l’argent est une manifestation privilégiée de notre rapport au réel.
L’homme fait du commerce avec le réel.
Il peut être un marchand plus ou moins habile. En analysant notre relation à l’argent, nous mettons le doigt sur notre commerce avec le réel.
Le montant de notre fortune indique notre pouvoir sur le réel
Le pauvre (comme si l’être d’une personne se réduisait à son niveau de richesse !) est celui qui ne tire pas assez d’argent de son environnement pour subvenir à ses besoins vitaux. Il incarne la vulnérabilité par excellence. Son pouvoir sur le réel est inexistant.
A l’inverse, le riche a un pouvoir étendu, une influence importante sur le réel qu’il sait utiliser à son avantage allant jusqu’à la prédation en pénalisant beaucoup d’autres. Ce pouvoir exorbitant s’accompagne d’autres pouvoirs, ceux du pouvoir politique, de la notoriété, de l’influence.
Chercher à avoir beaucoup d’argent est un signe de notre volonté d’emprise sur le réel, non seulement la matière, mais aussi l’autre, le proche ou le lointain.
L’homme est un loup pour l’homme
Cette fameuse sentence du philosophe Thomas Hobbes met le doigt sur un fonctionnement naturel de l’homme en société. L’homme fait tout pour conserver sa vie et la développer souvent au détriment des autres. C’est l’individualisme qui fait de l’homme un prédateur. L’argent qu’il possède est un signe révélateur de sa volonté d’emprise non seulement sur le matériel (par les biens qu’il peut posséder), mais aussi sur les autres (qui paie commande !). Ce pouvoir est grisant et peut devenir le but de la vie : augmenter sa fortune pour augmenter son pouvoir sur les choses et les hommes.
L’argent n’est plus seulement un moyen d’échange entre les hommes, mais un but en soi pour le pouvoir qu’il donne. L’homme est devenu un loup. Mais est-il pour autant plus heureux ? L’argent conduit-il à l’accomplissement de soi ?
La réponse est simple quand on se pose cette question : qui est le maître ?
L’homme envahit par cette frénésie d’argent et de pouvoir n’est plus maître de sa vie, il est en fait possédé par l’argent qui est devenu son maître. Il en est devenu dépendant. Il croit contrôler, avoir le pouvoir sur les choses et les êtres, en fait il est devenu un serviteur de l’argent. Il s’est transformé en Mer Morte, cette mer en Israël qui reçoit le Jourdain sans le redonner et est devenu au fil du temps une mare salée où quasi toute vie a disparu.
Cette volonté d’accaparement a transformé l’homme en un mort-vivant : mort à la vraie vie et vivant pour et par l’argent qu’il peut posséder. Il est tombé de l’escalier du développement personnel. Il a manqué la cible.
Quand le pouvoir de l’argent se retourne contre nous
Le vrai pauvre, celui qui est le plus vulnérable et le plus faible, n’est pas seulement celui qui n’a pas assez pour subvenir à ses besoins, c’est surtout celui qui vit au-dessus de ses moyens et s’endette. Il est souvent victime de ses envies de posséder ce qui pourra lui donner l’impression qu’il est comme les autres. Il se convainc même qu’il y a droit comme les autres.
Le vrai pauvre achète à crédit l’image qu’il souhaite donner de lui-même.
Sa fragilité est double : il dépend des biens qu’il achète pour se donner une image illusoire de lui-même et il dépend de ses créanciers à qui il donne sa liberté et les pleins pouvoirs sur sa vie.
La spirale de l’endettement est un véritable asservissement.
Être le gérant de mon argent
Dans notre société de consommation, avoir de l’argent en suffisance pour payer ses factures et vivre normalement est une nécessité. Encore faut-il faire la part des choses entre le nécessaire, l’utile et le futile. Le futile est souvent le plus coûteux parce que le plus valorisant.
Pour le gérant de son argent, il est nécessaire de travailler, de faire fructifier son argent, non pour thésauriser et accumuler, mais simplement pour faire face à ses besoins, à ce qui est nécessaire et utile dans sa relation avec le réel. Il utilise le pouvoir que l’argent lui donne dans le respect des autres et de lui-même, sachant que l’argent n’est qu’un moyen et pas un but en soi.
Finalement, il ressent intérieurement que cet argent qu’il utilise n’est finalement pas le sien, ce n’est qu’une ressource comme une autre dont il peut être le dépositaire momentané et dont il est responsable. Au-delà d’un niveau normal, il sait que sa richesse ne peut qu’être un prélèvement abusif de cette ressource commune et se fait au détriment des autres.
L’attitude de vie du gérant, par sa quête de simplicité volontaire, permet que l’argent circule sans s’accumuler inutilement et contribue ainsi à l’échange et au bien-être commun.
Il a diminué son emprise sur le réel dans une juste mesure et orienté sa vie vers l’essentiel. Il est plus léger et plus libre.
Au service de tous, mais esclave de rien ni de personne, telle pourrait être sa devise.