Le Moi n’est pas le centre de l’être que je suis
Le Moi est le centre organisateur de ma vie consciente. Il assure l’unité de la personne que je suis, une personne qui a conscience d’elle-même. Mais le Moi n’a pas conscience de tout ce que je suis, une grande partie de ma vie psychique m’échappe plus ou moins définitivement.
Certaines décisions ou comportements me semblent rationnels et fondés, alors qu’ils sont influencés par ces contenus psychiques inconscients qui œuvrent en arrière-plan de ma vie consciente. D’autres fois, je réagis d’une manière disproportionnée à un incident ou une parole et réalise que quelque chose de profondément enfoui en moi a refait surface, une émotion, une souffrance …
Souvent j’agis pour les autres en pensant que je suis un type bien, un altruiste. Mais en y regardant de plus près, je réalise que je ne suis pas aussi désintéressé que cela : je recherche de la reconnaissance pour me sentir exister et donner un sens à ma vie. Finalement, je peux même en arriver à me découvrir égoïste.
Une partie de mon être m’échappe et m’influence à mon corps défendant.
Je réalise que mon être ne s’identifie pas à mon Moi. Mon Moi fait partie de l’être que je suis, mais en moi il y a plus que mon Moi.
La difficulté à reconnaître que je ne sois pas que mon Moi
Après avoir découvert, au XVIe siècle, que la terre et l’homme ne sont plus le centre de l’univers, puis au XVIIIe siècle que l’homme est un animal comme les autres, résultat d’un long processus évolutionnaire, l’homme moderne avec Freud et C.G. Jung a découvert que son Moi conscient n’est pas identique au tout de son être. Ces trois découvertes que peu de personnes contestent correspondent à des décentrements successifs et ont profondément bouleversé notre manière de nous représenter notre monde et notre place en son sein.
Une remise en question radicale
La dernière, la mise en valeur d’une partie inconsciente dans notre psychisme qui influence et parfois manipule le Moi conscient est certainement le décentrement le plus radical qui soit et le plus difficile à admettre réellement. On peut même parler d’une véritable résistance naturelle à cette prise en compte.
L’inconscient est un peu comme un trou noir dans l’Univers. Par sa nature même, on ne peut pas le voir, on ne peut que constater indirectement son existence par les effets que le trou noir, à la masse gigantesque, provoque sur les étoiles et les autres corps célestes. L’existence des trous noirs est une déduction rationnelle de comportements étranges de corps célestes.
De même l’inconscient est une réalité déduite de ses interférences sur la vie consciente. On peut parfois au travers de lapsus, d’actes manqués et plus facilement encore par les rêves qui nous ravissent ou nous bouleversent vraiment prendre conscience que notre vie psychique ne se réduit pas à notre vie consciente.
Il y a plus, il y a autre chose encore … une sorte de continent inconnu dont nous entendons quelques échos lointains.
Il est intéressant de remarquer que le droit pénal prend en compte le fait qu’une personne puisse, dans certaines circonstances, ne pas être tenue pour responsable de certains actes, qu’en temps normal, elle n’aurait pas commis. On parle alors de folie passagère ou d’une émotion si puissante qu’elle a dominé le sujet si complètement que l’acte commis ne lui est pas imputé. Le droit prend donc en compte le fait que le Moi conscient et rationnel n’est pas la seule explication des actes d’un homme. Il y a quelque chose d’autre.
« Je » est un étranger
Il est particulièrement confortable et surtout rassurant pour nous de nous représenter comme un sujet humain en pleine possession de tous nos moyens, volonté libre, analyse rationnelle et capacité d’agir. Et pourtant ce n’est pas le cas. Nous sommes aliénés à une partie de notre être, aliéné dans le sens d’être étranger à une partie de notre vie psychique. Prendre vraiment en compte cette réalité ambiguë est une expérience bouleversante et suscite le plus souvent la peur. Nous continuons alors de vivre en nous identifiant à nos rôles sociaux et à notre Moi conscient.
En refusant notre profondeur, nous vivons alors à la surface de nous-mêmes. Nous devenons un mystère pour nous-mêmes. « Je » est un étranger.
Je ne suis pas que mon MOI, mais alors qui suis-je ?