Mon cher Quaesitus,
Dieu … le grand problème qui hante l’humanité depuis toujours … est mort ! Oui, Dieu est mort !
Ah, mon cher Quaesitus, tu ne le savais pas ?
Comment est-il mort ?
Désolé de t’apprendre cette triste nouvelle. Mais tu vois, il était très âgé, ne faisait plus grand-chose semble-t-il, la 2e guerre mondiale avec ses millions de morts a montré qu’il était fatigué, certains même ont cru qu’il avait pris sa retraite. Puis, les choses ont encore empiré à la fin du XXe siècle, les gens ont fait leur vie en pensant de moins en moins à lui … pour finalement le mettre dans un home, le ciel. Bref, ils s’en sont débarrassés et maintenant Dieu est mort … de chagrin.
Oui, je sais, c’est triste, mais « c’est la vie » dit-on. Il y a bien encore quelques personnes qui viennent déposer des fleurs sur sa tombe, mais tu vois elles vieillissent, elles aussi. Bientôt, il semble que plus personne ne pensera à lui. Il avait fait son temps, la roue tourne.
L’avenir est devant nous, nous sommes enfin libres … il paraît.
Tu trouves que j’exagère ? Oui, certainement … un peu.
Un siècle extraordinaire
Le XXe siècle fut un siècle extraordinaire … à son début les paysans labouraient la terre avec des chevaux, on se déplaçait en calèche … puis vinrent l’électricité, la radio, le train, la voiture, l’avion et … la bombe atomique. Deux guerres mondiales après, la promesse du progrès sans fin pour le bonheur et le confort de tous en a pris un sacré coup. Les hommes ont acquis la maîtrise de la matière au point de savoir comment se détruire et tout le reste aussi. Le monde a profondément changé … la libération des mœurs, la consommation effrénée, l’informatique pour tous, Internet et les réseaux sociaux, la surpopulation, la pollution, la planète devenue un grand village qui agonise … ouah quels bouleversements ! Jamais l’humanité n’a vécu autant de changements en si peu de temps.
La manière de ressentir sa vie a changé aussi
Les esprits et les cœurs ont aussi changé, ils sont sortis de l’ornière des habitudes ancestrales, se sont ouverts. La raison, un temps victorieuse est ébranlée par l’irrationnel de nos comportements. Aujourd’hui, on peut se déclarer cartésien et consulter son horoscope chaque jour. La vérité absolue n’existe plus, il n’y a plus que des vérités partielles et subjectives. L’autorité extérieure quelle qu’elle soit est suspecte, voir récusée, le Moi est devenu impérial ! Ce qui est important, c’est ce que je sens et éprouve, ma quête du plaisir et du bonheur avec ceux que je choisis. La vie est si courte, il faut en profiter à chaque instant.
Tous les systèmes, qu’ils soient religieux, philosophiques ou moraux sont remis en question, voire discrédités. Notre représentation du monde dans lequel on vit est devenue plus tragique, on sent que tout pourrait basculer d’un jour à l’autre. L’insécurité règne avec une anxiété qui augmente.
Chacun fait son marché où il peut en cherchant confort et réconfort.
Et Dieu dans tout cela ?
La question cruciale de tous les siècles passés ne se pose plus semble-t-il. Pour la plupart, Dieu est mort et son cadavre ne sent déjà plus. La philosophie a passé à autre chose. La religion sent la naphtaline ou est devenue dangereuse. Beaucoup en sont vaccinés. Mais d’autres choses ont remplacé Dieu et sont devenues ultimes pour nous: notre développement personnel, notre corps, notre santé, notre vie amoureuse, nos enfants, notre travail, nos vacances, nos loisirs etc.
Il nous arrive encore de penser à une éventuelle transcendance qui n’est alors plus verticale mais horizontale et intérieure, de rechercher une spiritualité par la méditation, la lecture, le yoga. En bref, nous sommes en quête d’un plus qui embellirait notre existence, un mieux-être.
La question du sens de la vie est devenue cruciale
Quand les anciens repères s’effacent progressivement, que tout change à grande vitesse, alors l’individu au milieu de ce malstrom ne sait plus d’où il vient et où il va … il vit au maximum l’instant présent dans la jouissance immédiate en se recroquevillant sur lui-même dans son nid douillet et protégé. Il tend à perdre le sens de sa vie (aussi bien sa direction que son but). Parfois, le vide et l’absurde s’emparent de lui et le laissent désemparé.
Pour moi qui suis de la génération qui va bientôt partir, j’ai senti ces changements me traverser et me chambouler. Toi qui es probablement de la génération qui arrive ou qui est aux commandes, c’est l’air que tu respires depuis toujours. Cela a construit ton existence et tu n’as pas discerné ces changements, mais peut-être en ressens-tu les effets ? Alors, nous ne sommes pas si différents.
A l’occasion d’une difficulté de la vie qui nous stoppe ou nous ralentit dans notre existence bien remplie (mort d’un proche, maladie, chômage etc.), nous découvrons avec surprise et amertume notre propre fragilité et surtout notre finitude. Nous nous posons la question: Ma vie a-t-elle un sens ? S’inscrit-elle dans quelque chose de plus grand que moi ou ne suis-je qu’une poussière consciente dans un univers infini ? Après avoir tout ramené à nous, à notre bien-être, à notre plaisir … nous nous découvrons seul face à ce monde finalement indifférent et monte alors en nous une complainte:
« Ma vie n’est-elle que cela ? … une passerelle posée sur le néant ?
« Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre » Jean-Paul Sartre dans « La Nausée ».