Quand on interroge le citoyen lambda, une personne publique, un « people » sur ce qui l’offusque le plus dans le comportement ou l’attitude des autres, un mot revient très souvent : l’hypocrisie ! Et je pense que vous partagez cet avis.
Une personne qui dissimule sa véritable personnalité et affecte, par intérêt ou pour se protéger, des opinions, des sentiments ou des qualités que nous croyons qu’elle ne possède pas vraiment nous irrite, voire nous énerve. Nous sentons qu’il y a quelque chose de faux en elle et cela biaise notre relation.
Nous sommes tous des hypocrites … par nécessité !
Dès notre naissance, nous jouons tous plusieurs rôles dans la pièce de théâtre qu’est la vie. Nous sommes le fils ou la fille de … nous sommes un enfant tranquille ou turbulent. Puis en grandissant, nous devenons étudiant ou apprenti, puis nous nous mettons en couple, nous mariant ou pas, devenons parents, salarié ou patron …
Vivre, c’est inévitablement vivre en relation et donc nécessairement jouer un rôle, adopter un comportement appris pour se conformer à ce que les autres attendent de nous pour être acceptés et reconnus, voire aimés.
Ne pas adopter un comportement acceptable socialement nous met en marge. La société, même libre comme dans nos pays démocratiques, au travers de notre famille, de nos proches, de nos amis, de nos collègues, de nos chefs etc. attend de nous un comportement formaté socialement acceptable.
Cette attente sociale est insensible quand on remplit bien les rôles sociaux qui doivent nécessairement être les nôtres. Elle devient perceptible quand on s’écarte un tant soit peu de ce formatage, voire oppressante quand on prend des voies inhabituelles ou franchement asociales.
Lorsqu’en Suisse, il devint évident que le gouvernement fédéral devait avoir, enfin, en son sein au moins une femme, une candidate socialiste et syndicaliste arriva en pole position dans les sondages par la qualité de son engagement et ses compétences. Au prochain vote des chambres fédérales, elle allait être élue, c’était presque écrit d’avance. Mais voilà, ses adversaires politiques mirent en avant un élément à leur yeux rédhibitoire : elle n’était pas mariée, mais vivait avec un homme en concubinage. C’était inacceptable qu’une femme vivant ainsi accède au plus haut niveau du pouvoir en Suisse. Elle ne fut pas élue.
Quelques années plus tard, une jeune et jolie conseillère fédérale pris le relais. Elle suscita beaucoup d’attention de la presse qui s’intéressa entre autres à sa vie privée. Elle était mariée, mais sans enfants et osa dire franchement qu’elle n’en souhaitait pas. Tout le monde en fit des gorges chaudes. A la législature suivante, elle ne fut pas réélue … une première en Suisse pour une conseillère fédérale.
Dans notre société, même moderne, le statut social dit normal est d’être marié avec enfant(s). Ce statut est le plus protégé par la loi et la prévoyance, c’est le statut le plus répandu dans notre société. S’en écarter volontairement et l’afficher avec conviction, nous classifie dans une minorité.
Nous sommes tous des hypocrites par nécessité ! Sans nous en rendre compte, nous avons accepté le formatage des rôles sociaux que nous devons jouer pour vivre en société et être acceptés.
Ce jeu de rôles crée la complexité dans nos relations
Nous jouons nos rôles dans la pièce de théâtre qu’est notre vie en société et nous dissimilons, par intérêt ou par peur, ce que nous sentons être vraiment. Si nous jouons ces divers rôles avec conviction et sans recul, nous nous coupons de notre être profond et devenons hypocrites sans le savoir. La distance entre ce que nous désirons vraiment, l’essentiel pour nous, devient de plus en plus grande avec ce que nous vivons quotidiennement. Le malaise s’installe et nous sommes frustrés.
La complexité s’installe dans nos relations. Tout devient compliqué : il y a ce dont on a envie et ce que nos rôles sociaux nous dictent. Nous rusons en permanence pour nous réaliser tout en négociant avec les obligations de nos rôles.
Il arrive parfois, que n’y tenant plus, nous entrons en crise et provoquons la mise à mort d’un rôle social qui ne nous convient plus, en divorçant par exemple, en changeant radicalement d’activité, en partant à l’étranger … Nous pensons alors échapper à cette complexité en faisant un nouveau départ. Mais inévitablement, nous endossons d’autres rôles dans un autre contexte, rôles qui eux aussi peuvent nous frustrer et rendre notre vie compliquée.
S’identifier à ses rôles sociaux nous fait perdre le contact avec notre être
Entrer dans ce jeu de rôles est inévitable quand on vit en société et que l’on n’aspire pas à être un ermite dans sa caverne. Mais, est-il pour autant nécessaire de s’identifier à ses rôles ?
En d’autres termes, est-il nécessaire de vivre quotidiennement en pensant que nous ne sommes que les rôles que nous jouons dans la société.
JE SUIS un père ou une mère de famille irréprochable
JE SUIS un époux aimant et fidèle
JE SUIS un salarié modèle, un maçon, un fonctionnaire, un ingénieur, un banquier etc.
JE SUIS un patron qui respecte ses employés
JE SUIS un citoyen respectueux des lois
JE SUIS ce que mes rôles sociaux me disent d’être !
L’être que je suis N’EST PAS les rôles sociaux que j’ai accepté de vivre dans la pièce de théâtre de la vie en société !
Jouer ces rôles me donne des droits et des obligations, je peux chercher à changer de rôles pour vivre mieux et plus heureux mais je ne suis pas ces rôles.
L’être que je suis est autre !
Je deviens hypocrite en affectant d’être autre que je suis. En m’identifiant à mes rôles sociaux, je perds le contact avec mon être en me trahissant moi-même.
L’être que je suis existe au travers des rôles sociaux qu’il joue, mais il ne s’identifie pas avec eux.
Je ne suis pas que les rôles sociaux que je joue, mais alors qui suis-je ?