Mon cher Quaesitus,
Voici la dernière lettre que je t’écris. J’aimerai te pousser à la révolte … à la lutte sans répit … au combat ultime.
Suis-je un révolutionnaire ? oui, s’il s’agit de révolutionner ma vie intérieure …et un peu la tienne.
Suis-je un anarchiste sans dieu ni loi ? oui, s’il s’agit d’honorer un dieu fossile et une loi qui lie les consciences pour rassurer les bien-pensants et les maintenir dans leur confort et leur contrôle.
Suis-je un révolté ? oui … certainement. Un grand désir s’est emparé de moi.
Toutes ces frontières qui s’imposent à nous
J’aimerai … une dernière fois … te poser une question … impertinente :
As-tu pris … vraiment … conscience de toutes les frontières qui te sont imposées et … pire … que tu t’infliges à toi-même ?
Le drame … pour moi … est de considérer que l’être que je suis … est identique à mes rôles sociaux, à ce que je crois posséder, à mon apparence physique, à mon Moi conscient … toutes des frontières qui m’enferment dans une prison … que j’ai en grande partie construite.
Mon désir est si impérieux que j’ai envie … parfois … de tout faire sauter … pour être … enfin … délivré … vraiment libre.
Cela paraît un peu radical … mais la normalité, la conformité, le formaté, le consensuel, le convenu … non pas imposé … (nos sociétés modernes et démocratiques sont beaucoup plus habiles) … que nous intégrons depuis notre enfance et surtout notre vie d’adulte … me pousse à hurler :
Je ne suis pas l’être que vous pensez que je suis … je suis autre.
Je me heurte à la multitude des frontières qui m’entourent, m’enserrent, m’étranglent … celles de l’image que les autres ont de moi et que je dois respecter pour continuer d’être accepté … apprécié … voire aimé.
Mais aussi les frontières que les biens que je possède m’imposent, qui orientent ma vie … pour les conserver ou les augmenter … finalement qui constituent une partie de mon identité.
J’ai bientôt 60 ans … mon corps a changé … lui aussi se rebelle … vieillit … parfois me trahit et je sens … qu’il va en prendre de plus en plus l’habitude … pour finalement m’abandonner.
Même mon Moi conscient me trahit …lui aussi.
J’aimerai être un ange et je me découvre démon (Pascal),
J’aimerai être raisonnable et je me découvre irrationnel … le crime par excellence … perdu pour la science !
J’aimerai être aimant et attentionné … avant je n’étais qu’un jeune con … aujourd’hui je ne suis plus qu’un vieux con … c’est pire.
Il y a de quoi désespérer, n’est-ce pas Quaesitus ?
Et pourtant …
Et … pourtant … comme ce mot est puissant … je ne renonce pas ! Je ne me résigne pas.
Je ne suis finalement … rien … ou si peu … Lui est Tout.
Mon désir est intact … je n’ai pas renoncé … je suis prêt à franchir la dernière frontière : celle de l’être que je suis.
La frontière de mes rôles sociaux
La frontière de mon corps
La frontière de mon Moi
La frontière de ce que je sais
La frontière de ce que je crois
Je crie cela suffit : qui me délivrera de moi !
Mon désir est devenu indicible … comme une douleur qui me transperce jusqu’à la moelle des os :
Toi … qui est mon Tout … déchire le voile et descends dans mon cœur pour me dévoiler qui Tu es et qui je suis.
Plus je me sens vide de Moi … plus je sens que tu es présent
Plus je me dessaisis de Moi … plus je sens que tu me saisis
Plus je m’abandonne … plus tu m’habites.
J’ai peur de me perdre.
Et pourtant (encore) … je découvre que ce que Tu veux n’est pas que je disparaisse en Toi dans l’indéterminé, dans un infini indéfini.
Tu veux que je sois pleinement moi en Toi … comme Tu veux être pleinement Toi en moi.
Tu veux que je sois libre … vraiment !
C’est l’union … pas la fusion : la plus désirable des conjonctions !
Mon désir est devenu infini !
L’Ultime … alors … se dévoile.
Je découvre que depuis le début … je suis enceint de l’Ultime.
Il fallait juste que je Te laisse naître en moi.
Tu attendais juste que je me désencombre pour te faire toute la place.