Mon cher Quaesitus,
Beaucoup cherchent Dieu dans la religion. Mais je crains que la religion nous ait vacciné contre Dieu. C’est dur et provocateur … mais avant de savoir si je ne suis qu’un vilain moineau, posons-nous une question impertinente:
A quoi sert la religion ?
Aucune société aussi primitive ou civilisée soit-elle n’est sans religion. Ce n’est pas une affirmation, c’est un fait. La religion peut être simple ou sophistiquée, orientée vers la paix ou la guerre, fossilisée dans un dogmatisme et un moralisme fermés ou ouverte à tous vents et très tolérante … bref elle existe sous diverses formes et concerne des millions de fidèles aussi intelligents et responsables que n’importe qui.
C’est une réalité universelle et propre à l’être humain.
Pourquoi ? Tout simplement parce que l’homme ne peut vivre sans donner un sens ultime à ce qu’il vit et surtout un sens à sa finitude qui se termine inexorablement dans la mort. Voici les deux sources de la religion !
La religion, quelle qu’elle soit, a (ou avait) une utilité sociale importante en augmentant la cohésion sociale et la conformité aux règles communes. Elle a aussi et surtout une utilité individuelle pour donner un sens extérieur à la vie humaine en offrant une vision du monde cohérente, elle aide à parer à l’angoisse de vivre et à l’absurde, à surmonter la peur de mourir, à structurer et ritualiser les croyances individuelles et à augmenter la motivation nécessaire pour agir en faveur du bien de tous.
La religion serait alors une sorte de bouclier contre l’angoisse d’être et l’égoïsme naturel à chacun.
Quand la religion perd du terrain
Dans nos sociétés de plus en plus sécularisées, la religion reléguée dans la sphère intime joue de moins en moins son rôle de liant social et de source de sens pour la vie individuelle. La plupart cherchent ailleurs de nouvelles sources.
Alors, certains organisent la résistance et basculent dans le fondamentalisme, l’intégrisme, voire le fanatisme meurtrier, une réaction inévitable lorsque l’on perçoit le monde qui nous entoure comme indifférent ou hostile. On se construit une citadelle qui sépare clairement ceux du dehors et ceux de l’intérieur … les purs.
D’autres se cherchent une spiritualité de substitution en faisant leur marché partout où il y a quelque chose de bon à prendre et se constituent ainsi une sagesse « patchwork », pratique, ouverte et souvent bien-pensante.
La grande masse des gens, effrayés ou dégoûtés, s’en détournent et la récuse … la religion est devenue une maladie dont il faut se prémunir en la mettant en quarantaine. Ceux-là sont désormais vaccinés.
Il ne reste pour beaucoup que le sentiment de l’absurde et l’angoisse d’être avec en prime la fuite dans la jouissance: « après nous le déluge … en attendant buvons et mangeons ! » Certains ont le courage de relever ce nouveau défi … sans religion et sans Dieu … et d’avancer pour construire un monde qu’ils souhaitent meilleur et conquérir ainsi un sens personnel à leur existence avant leur extinction dans le néant.
N’aurait-on pas jeté le bébé avec l’eau du bain ?
Certains ont jeté Dieu aux orties et en sont fiers, beaucoup ont gardé une petite pensée pour Lui, mais cela ne change en rien leur existence … la religion leur offre encore quelques rites de passages utiles dans la vie sociale, mais pour eux la source est tarie. Le bébé a été jeté en catimini avec l’eau du bain.
Oui, mon cher Quaesitus, je pense que cette religion-là nous a vacciné contre Dieu.
Une distinction importante qui change la donne
Henri Bergson dans son dernier ouvrage « Les deux sources de la morale et de la religion » parle de deux types de religions et de deux morales. Sa grille de lecture du phénomène religieux est très éclairante par la distinction lumineuse qu’elle apporte:
Bergson va distinguer tout d’abord la société close avec une morale fermée et une religion statique. Cette dernière a pour fonction la conservation sociale basée sur l’obligation morale que nous intégrons par osmose dès notre enfance et à laquelle nous obéissons naturellement et presque sans effort. L’intelligence humaine oriente naturellement l’individu vers l’égoïsme et donc au risque de dissolution du lien social. L’obligation morale portée par la religion avec sa symbolique et ses mythes contrecarre (en tout cas avant) cette tendance naturelle et augmente l’envie de vivre ensemble. Cette religion-là est statique, car tout son effort est de conserver ses acquis et de contrôler les comportements jusqu’aux consciences.
La religion que ressentent la plupart des gens est cette religion statique avec une morale fermée. Vue sous cet angle, on peut comprendre que cette religion-là soit contestée, voire récusée par beaucoup … et moi avec. La montée de l’individualisme, de ce désir irrépressible de tout organiser ou vivre en rapport avec soi, ses besoins, ses envies, son bonheur est le signe que l’influence de cette religion-là diminue d’année en année.
Il y en a une autre et cela change tout !
Mais, Bergson distingue aussi la religion dynamique avec une morale ouverte basée sur l’amour, celle vécue par ceux qui ont « une prise de contact et par conséquent une coïncidence partielle, avec l’effort créateur que manifeste la vie ».
Pour Bergson, il s’agit des mystiques et en particulier des mystiques chrétiens qui par leur expérience vitale apporte de la vie et un nouveau souffle à la religion statique ou fermée.
Une belle piste à explorer !
Peut-être est-ce là qu’il faut chercher Dieu ?