Accepter que l’être que je suis ne soit pas identique à mes rôles sociaux et à mon Moi conscient m’amène à descendre sous la surface de mon être et à confronter mon ombre.
L’ombre est un concept élaboré par C.G. Jung, concept qui va nous être d’une grande utilité dans notre quête de la réalisation de soi.
« L’ombre est la personnification de tout ce que le sujet refuse de reconnaître et d’admettre en lui. Se mêlent en elle les tendances refoulées du fait de la conscience morale, des choix qu’il a faits pour sa vie ou d’accéder à des circonstances de son existence, et les forces vitales les plus précieuses qui n’ont pas pu ou pas eu l’occasion d’accéder à la conscience » (Elizabeth Leblanc dans la psychanalyse jungienne).
La prise de conscience de cette projection est difficile parce que tout simplement on a beaucoup de difficultés à admettre pleinement nos défauts. Notre Moi conscient a refoulé dans l’inconscient ce qui ne correspond pas à l’image sociale qu’il veut donner. Il a refoulé des événements, des pulsions, des désirs qui entrent en contradiction avec le Moi idéal.
Mais ces contenus souvent fortement chargés émotionnellement sont toujours présents et cherchent à venir à la surface.
On retrouve cette notion d’ombre dans la littérature ou le cinéma. Par exemple Dark Vador dans la saga Stars Wars qui personnifie le côté obscur de la Force, mais aussi dans « L’Etrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde » où Mr Hyde, l’ombre du Dr Jekyll prend le dessus et le transforme en monstre.
« L’ombre peut être définie comme notre double inversé, celui ou celle que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes pas. C’est notre face obscure, elle contient l’ensemble des traits de caractère qui n’ont pas pu se développer dans notre personnalité. Elle symbolise en quelque sorte notre frère jumeau opposé qui est caché dans les profondeurs de notre inconscient. » (Daniel Cordonier dans Le pouvoir du miroir).
L’ombre n’est pas seulement nos défauts cachés comme s’il y avait en chacun de nous un Mr Hyde qui sommeille. Notre ombre est aussi des potentialités très précieuses dont nous ne sommes pas conscients. L’ombre n’est donc pas seulement négative. C’est une réalité psychique ambiguë.
Nous projetons notre ombre sur les autres
Le problème avec l’ombre, c’est que naturellement nous la refusons ou nous l’ignorons parce que c’est dérangeant pour le Moi. Alors ces contenus inconscients ambigus, qui font partie de nous, sont projetés à l’extérieur de nous-mêmes sur des objets (rarement) ou des personnes (le plus souvent). Un autre personne dont l’apparence, les idées, le comportement, la situation dans la vie sont différents de nous va devenir le réceptacle des qualités de notre ombre.
Le rigorisme moral est souvent une projection de son ombre, en particulier dans le domaine sexuel. Il arrive souvent, par exemple, qu’une personne ouvertement homophobe projette sur l’autre, le gay ou la lesbienne, son propre penchant inconscient à l’homosexualité. Et que dire de prêtres pédophiles qui, tout en ayant passé à l’acte, réprouve ouvertement tout comportement sexuel à leurs yeux déviants.
La projection inconsciente de notre ombre sur les autres peut avoir des conséquences redoutables.
On retrouve très clairement cette projection de l’ombre dans toutes sortes de préjugés, d’idéologies, de stéréotypes où l’autre est stigmatisé parce que différent, le malade, le chômeur, l’étranger, l’homosexuel, le juif, l’arable etc.
L’autre devient un ennemi ou un adversaire, alors qu’en réalité nous évitons de prendre conscience que c’est notre ombre qui fausse notre regard parce que nous refusons de lui accorder une existence dans notre vie psychique.
Cette projection de l’ombre peut même devenir collective et entraîner un pays tout entier dans la barbarie. Il suffit de penser aux divers génocides, celui des juifs par les nazis durant la seconde guerre mondiale, des arméniens par les ottomans, des tutsis par des hutus au Rwanda, ou des bosniaques par des serbes de Bosnie. L’autre est stigmatisé comme sous-homme et détruit. La projection de l’ombre n’explique pas tout bien sûr, mais elle éclaire un processus tant individuel que collectif.
Accepter la confrontation avec notre ombre
L’ombre n’est pas seulement le négatif en nous, voire le pire, mais aussi des potentialités, des ressources inconscientes, des aspects positifs de notre personnalité. Prendre conscience que je ne suis pas que mon corps, que je ne suis pas que mes rôles sociaux, que je ne suis pas que mon Moi conscient m’ouvre à une nouvelle perspective que Jung appelle la dialectique du Moi et de l’inconscient, une sorte de dialogue, de relation entre le Moi et l’inconscient qui passe par la reconnaissance de l’ombre et sa mise à jour progressive dans la conscience.
Il s’agit en fait d’un processus lent et souvent difficile qui permet au Moi d’étendre son champ de conscience et d’évoluer vers la réalisation de soi.
Évoluer vers le simple c’est se confronter à cette complexité en moi, à mon ombre, à mon inconscient. C’est accepter ce que je suis vraiment, un être ambigu traversé de contradictions et devenir ainsi plus authentique.
Me confronter à mon ombre, cette sorte de double en moi, me permet de réconcilier les contraires, d’unifier les opposés et de progresser vers la réalisation de soi.