Qui suis- je ? Pas si simple !
Il vous est certainement arrivé de vous retrouver dans un groupe avec des personnes inconnues. Si le groupe n’est pas trop grand, généralement, l’animateur demande à chacun de se présenter succinctement. Que dites-vous alors ?
Vous commencez par indiquer votre nom et votre prénom et votre lieu de résidence. S’il s’agit d’un groupe avec un but professionnel, vous mentionnez aussi votre profession et votre fonction. Vous pouvez aussi indiquer votre âge et votre statut matrimonial (plus rare). Et voilà tout le groupe sait qui vous êtes.
Mais le sait-il vraiment ?
Ceci est-il la même barque ?
Prenons un exemple classique :
Vous achetez une vielle barque en bois qui vous a charmé par sa construction ancienne. Mais voilà, bricoleur dans l’âme, vous décidez de la rénover complètement. Vous commencez par remplacer certaines planches de bois abîmées, puis, perfectionniste, vous remplacer tous les éléments, les uns après les autres. Finalement, votre barque est complètement reconstruite. Peu probable que vous fassiez cela, mais cet exemple est très bon pour se poser une question vraiment essentielle :
La barque, dont vous avez remplacé tous les éléments, est-elle la même que celle que vous avez achetée ? Est-ce la même barque ?
Elle a la même forme, les mêmes dimensions, les mêmes fonctionnalités, elle est identique en tout point, mais est-ce la même barque ?
Oui, direz-vous ? Elle a été refaite avec du bois comme l’ancienne, c’est la même matière. Mais ce n’est pas le même bois (= vous n’avez pas réutilisé les mêmes planches). Du reste, vos amis en la voyant vous disent : Quelle belle rénovation ! Ta barque est magnifique ! Pour eux, c’est la même !
De même pour votre corps. Les cellules que cela soit celles de votre sang, de vos muscles ou de vos os ne sont plus les mêmes que celles que vous aviez à votre naissance. Certaines naissent et meurent en quelques jours, d’autres en quelques années. Physiologiquement votre corps change en permanence. Il n’est pas le même … au sens fort … qu’à votre naissance ou à votre adolescence.
Alors une question se pose :
Qu’est-ce qui fait la permanence de mon être ? Mais y-a-t-il une permanence de l’être que je suis ?
Ceci est-il vraiment une porte ?
Prenons un autre exemple, pour approfondir cette question :
Vous avez à la maison une grande table avec un magnifique plateau en bois. En la déménageant, vous avez cassé un pied. Elle n’a plus que trois pieds. C’est toujours votre table. Admettons pour notre réflexion, que vous cassiez les trois autres pieds, qu’obtiendrez-vous ? Une table cassée ! Simple !
Pourquoi ne pas réutiliser ce magnifique plateau en bois ? Vous décidez d’en faire une porte. En la modifiant un peu, vous êtes bricoleur, vous arrivez à l’adapter et à y fixer des charnières et une poignée. Votre table a été transformée en porte !
Maintenant, qu’est-elle vraiment : une table cassée ou une nouvelle porte ?
Pour vous qui avez vécu cette expérience, il s’agit d’une table cassée que vous avez transformé en porte. Mais pour vos amis qui voient votre nouvelle porte, il s’agit d’une vraie porte. Et pourtant, la matière du plateau n’a pas changé, mais le nom qu’on lui donne est cependant différent ! Sans votre information sur sa provenance, ils ne peuvent que déclarer formellement : ceci est une porte ! ce n’est pas une table !
Bizarre n’est-ce pas ?
Dans l’exemple de la barque, la matière, la substance n’est plus la même, mais pour vos amis, il s’agit de la même barque. Avec le plateau de la table, la substance n’a pas changé, mais maintenant il s’agit d’une porte !
Si la table cassée avait une conscience et une mémoire, elle pourrait alors penser : J’étais une table et je suis devenue une porte. Mais alors, mon être est-il celui d’une table ou d’une porte ?
Et si mon être était indépendant des attributs que l’on m’applique ?
Il arrive qu’une personne naisse avec un sexe bien déterminé et qu’au cours de sa vie elle se sente de plus en plus appartenir à l’autre sexe. Il se peut même que son malaise soit si grand et perturbant qu’elle se fasse opérer pour modifier ses organes génitaux et ainsi faire mieux coïncider son sexe physique avec sa conscience d’appartenir à l’autre sexe. Troublant ! Qu’est-ce qui est alors déterminant ? Le sexe dont j’ai hérité à ma naissance ou ma conscience intime d’appartenir à l’autre sexe.
Qui suis-je alors ?
La substance, une notion importante en philosophie, n’est pas le critère déterminant pour définir l’être d’une chose ou d’un vivant !
Ceci n’est pas une pipe
Ce fameux tableau de Margritte « La Trahison des images » est une belle illustration de la problématique de l’être. Sans la légende, tout observateur ne peut que dire spontanément « C’est une pipe ! ». En lisant la légende, il prend alors conscience qu’il est en présence d’une représentation, en fait une image d’une pipe.
Pour penser une chose ou un être vivant, nous avons un besoin irrépressible de le nommer pour le distinguer d’autres choses ou d’autres êtres. Notre intelligence a besoin de mettre cette chose ou cet être dans une catégorie, une boîte mentale qui lui permet de l’identifier, de le qualifier par des attributs.
Devant une chose inconnue, l’intelligence humaine cherche spontanément à la mettre dans une boîte mentale : « Ceci est une barque, une porte, une pipe … c’est un homme, une femme ». L’intelligence est alors satisfaite et peut utiliser cette catégorie, cette boîte mentale pour communiquer par le langage.
L’intelligence pense et communique par des images qui sont un reflet, comme dans un miroir, de la réalité, mais n’est pas la réalité.
L’être des choses et des vivants reste en grande partie inaccessible à l’intelligence
L’être en soi n’est-il pas qu’un concept abstrait ? une image que l’on se fait des choses et de soi en particulier ?
Suis-je le même que lorsque j’étais enfant ? Mon corps n’est plus le même dans sa structure intime, alors qu’est-ce qui fait que j’ai la conviction d’être la même personne ?
Mon être ne serait-il pas fluctuant, une réalité avec une polarité corporelle et une polarité psychique en évolution permanente impliquant une conscience de soi qui change dans le temps ?
L’être est-il un donné ou un acquis ? L’être que je suis ne serait-il pas un dynamisme vital corporel et spirituel que je construis chaque jour ?
L’être que je suis n’est peut-être pas une substance matérielle et spirituelle, une dualité corps-esprit, mais un tout, un dynamisme vital en construction.
L’être que je suis est constitué de mon corps, de mon psychisme, de mon passé, de mes décisions, de mes actions, de mon rôle social, de mes relations.
Mon être est une constellation qui se construit chaque jour et qui évolue sans cesse dans le temps.
Il n’est pas une substance spirituelle intangible, donnée une fois pour toute ou qu’un corps dans lequel la mort agit dès la naissance.
Mon être est un dynamisme vital en évolution vers la réalisation de soi
Chaque jour, par mes décisions, par les gens que je rencontre, par les événements qui surviennent, j’actualise mon potentiel et construis mon être corporel et spirituel.
Je suis à la fois conditionné et libre. Je suis ce que je deviens.
L’être que je suis est un mystère … pour moi … comme il l’est aussi pour les autres !