Depuis mon adolescence, j’aime les dictionnaires. Cet attrait me vient de la découverte du dictionnaire Littré dans la bibliothèque de mon beau-père, 4 gros volumes noirs. Ils sont maintenant dans mon bureau. Ce sont les seuls objets qui me restent de lui.
Je le parcours finalement davantage pour comprendre le sens des mots, leur étymologie, leur usage que pour rendre « orthodoxe » mes textes. Ma curiosité ressemble à celle du petit garçon, dans la cour de récréation, qui soulève la jupe des filles pour voir leur culotte. C’est excitant.
Voici ce que dit le Littré : Futile, qui est de peu de conséquence, de peu de valeur. Rien de bien éclairant ! par contre son étymologie est lumineuse : Futile vient du latin « futilis »: qui laisse échapper. On peut par exemple parler d’un vase futile … qui laisse échapper son contenu. Et voilà j’ai trouvé ma métaphore pour comprendre, voir ce qu’il y a dessous.
« Je consomme donc je suis »
Dans notre société moderne, le cogito de Descartes « Je pense donc je suis » a été remplacé par « Je consomme donc je suis ». Quel glissement vertigineux !
Le problème n’est pas de consommer. Nous avons tous besoin … et c’est nécessaire … de manger, de boire, de nous habiller etc. Pour répondre à ces besoins primaires, nous nous devons de consommer des produits, d’employer des choses qui se détruisent par l’usage. C’est naturel.
Mais nous avons d’autres besoins moins primaires, des besoins sociaux tels que l’appartenance, être accepté, avoir un statut, mais aussi des besoins supérieurs tels qu’être reconnu, estimé, de comprendre, de créer, d’accomplir, de s’exprimer, de se réaliser.
Là aussi, pour répondre à ces besoins … nous consommons … des objets, des biens, des choses matérielles et immatérielles … nous remplissons le vase de notre existence … nous le parons à l’extérieur pour qu’il ait belle apparence … nous croyons ainsi être plus … être mieux.
Tout dans notre société nous pousse à croire qu’en consommant nous serons quelqu’un … une personnalité. Au-delà des biens nécessaires, le futile a envahi notre existence.
Le futile est non seulement devenu utile, mais nécessaire, voire essentiel pour avoir une vie meilleure, une vie plus conforme à nos désirs, une vie plus heureuse.
Mais voilà, dans ce vase, paré et encombré, l’être n’a plus de place … il a fui … il s’est échappé !
Nous sommes devenus ce que nous possédons … ou croyons posséder.
L’être que je suis est enfoui sous le futile qui … m’est devenu essentiel.
Le futile me rend esclave
Si je remplis le vase de mon existence avec des choses futiles en croyant que celles-ci me sont indispensables, nécessaires, voire essentielles pour que j’existe, alors, pour mon plaisir et mon bonheur, je suis dépendant des autres, des choses, des événements … je suis devenu un esclave qui a donné sa liberté aux choses … un esclave volontaire peut-être, mais un esclave qui a transféré son centre intime aux autres et aux choses pour exister.
Je suis devenu un être superficiel … un être qui vit à la surface de lui-même … qui s’identifie à son apparence, à ses rôles sociaux, à ce qu’il possède, à ses objets qui le distinguent ou le rendent comme les autres …
« Je » est un autre … Je suis aliéné à moi-même … Je me suis perdu en route.