Prendre conscience que l’homme n’est pas le centre de l’Univers, que le monde ne tourne pas autour de lui, qu’il est un simple chainon du processus d’évolution, actuellement le dernier, et enfin que son Moi conscient n’est plus maître chez lui nous interroge profondément :
D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ?
En fait la vraie question est :
Qu’est-ce qui fait l’être de cet être-là que je suis ?
L’homme fait l’expérience intime et douloureuse de l’inadéquation entre les questions qu’il se pose et les réponses qu’il peut trouver dans le monde.
Trop de questions, pas assez de réponses !
Il est saisi par une sorte de stupeur et peut reprendre à son compte cette parole de Pascal :
« Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée par l’éternité précédant et suivant, le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l’immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a pas de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ? »
Il en arrive à vivre une sorte de renversement :
Ce n’est plus l’homme qui interroge en vain le monde, mais c’est le monde qui le met à la question, qui lui demande de justifier son existence.
Cette expérience intime, c’est l’angoisse.
L’angoisse n’est ni la peur ni l’anxiété. La peur est toujours motivée par une cause subite, un autre être, un objet, un événement. L’anxiété est anticipation sur quelque chose que l’on redoute.
L’angoisse est sans cause !
« L’angoisse est le vertige de la liberté » (Kierkegard)
L’homme se découvre libre, mais d’une liberté finie. Il ne peut pas tout, mais il peut beaucoup. Son désir tend vers l’infini. Sa liberté va jusqu’à la possibilité de supprimer son être.
Son angoisse n’est pas la peur de mourir, mais d’avoir à mourir parce qu’il se sait fini.
L’angoisse est le privilège de l’homme … peut-être, avons-nous enfin trouvé ce qui le distingue des animaux ?
L’angoisse d’être est une composante inhérente à notre condition humaine.
L’homme fuit son angoisse par la distraction
Il est peu d’hommes et de femmes qui acceptent sans résistance de se laisser interpeler par ces questions existentielles :
D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Quel est le sens de ma vie ? Qu’en est-il de ma mort ?
De temps à autre, pourtant, des événements tels que la mort d’un proche ou d’une connaissance, la souffrance physique ou morale, un licenciement, etc. font surgir en nous ces questions existentielles exigeantes. Nous sommes troublés, voire ébranlés. Mais passé le choc, nous retournons rapidement à notre vie quotidienne. L’important n’est-il pas de vivre et de vivre bien, nous disons-nous. Et nous passons à autre chose.
En fait, nous conjurons notre angoisse en nous distrayant.
Pour nous, nous distraire signifie se divertir, se délasser et c’est essentiel avec les vies surchargées que nous avons. Mais se distraire signifie aussi se détourner, se libérer de …
Nous faisons l’autruche qui ne veut pas voir
En y regardant de plus près, nous pouvons découvrir que nous sommes des champions pour nous distraire, nous détourner, nous libérer de cette sensation diffuse et désagréable : l’angoisse d’être avec ses questions auxquelles nous ne trouvons pas de réponse.
Nous encombrons notre existence de biens plus ou moins inutiles, d’activités non signifiantes pour nous, de relations interpersonnelles peu gratifiantes, de connaissances superfétatoires (= qui s’ajoutent sans nécessité) pour une très bonne raison souvent inconsciente : nous sentir plein, alors qu’au plus profond de nous, nous nous sentons vide.
En fait, nous encombrons notre vie pour échapper à nous-mêmes ! Nous préférons vivre à la surface de nous-mêmes et éviter de descendre dans notre profondeur inconnue et affronter notre ombre, notre angoisse d’être.
Nous vivons à la surface de nous-mêmes, tout en sachant bien que nous sommes différents de ce que nous laissons transparaître.
Finalement, nous ne savons plus qui nous sommes vraiment. Nous ne sommes plus qu’un être emprunté … nous avons perdu notre authenticité.
Notre stratégie de distraction de l’angoisse d’être a fait de nous un être superficiel qui trompe son monde et se trompe lui-même.
En fait, même si ce constat paraît sévère, nous nions ce qui fait de nous un être humain et qui nous distingue des animaux : notre angoisse d’être !