Mon cher Quaesitus,
Tu vois, je n’ai jamais réussi … vraiment … à me résigner à ce qu’une vie d’homme ordinaire, avec ses grandeurs et ses bassesses, ses joies et ses peines, ses réussites et ses échecs … soit le tout de ce que je peux attendre et espérer.
Même si … aux yeux du monde … j’avais eu une vie extraordinaire par son influence, sa notoriété, sa richesse, sa plénitude … je crois que je serai toujours aussi insatisfait.
Impossible de me contenter de tout cela
Je remarque avec une pointe de tristesse que beaucoup ajustent leurs désirs à ce qu’ils peuvent atteindre … raisonnablement. Quand je sens en moi cette sorte de sagesse, je me dis :
Tu es un médiocre.
Certains atteignent des sommets vertigineux, d’autres juste de petites collines. La sagesse serait de s’en contenter et d’arriver au bout du chemin en se disant : « J’ai fait ce que j’ai pu … » puis … tirer sa révérence et laisser la place à d’autres qui s’échineront à atteindre de nouveaux sommets. C’est ainsi que l’humanité avance, dit-on … mais a-t-elle vraiment avancé ?
Un désir plus profond
Pour ma part, cela ne me suffit de loin pas. Mon désir est plus impérieux, plus profond. Il a parfois risqué de s’éteindre par les coups de la vie … il a semblé disparaître comme une brume quand la chaleur de l’épreuve montait ou que l’emprise du plaisir tel un feu intérieur me consumait. Mais en fait, il couvait … comme un tison rougeoyant … dans les cendres fumantes de mes existences successives.
Jamais je ne me suis résigné à penser que la vie … d’un être humain se résumait à gagner sa vie (sic !) et à la dépenser intensément en s’agitant le plus longtemps possible comme une larve pris au piège.
Jamais je ne me suis résigné à penser que la vie … ce n’était que s’emparer d’une place dans ce monde où finalement ne règne que la loi de la jungle : manger ou être mangé, puis s’installer confortablement pour ensuite … lamentablement … laisser la place à un autre et disparaître. Dis comme cela, cela devient presque sordide et pourtant …
Jamais je ne me suis résigné à penser que la vie … que ma vie ne pouvait être que cela : « Jouir et mourir ». J’ai toujours trouvé que c’était la médiocrité suprême.
Jamais je ne me suis résigné …
Toujours, j’ai senti que la vie … devait être plus que cela.
Toujours, j’ai senti que la vie … ne se trouvait pas dans les choses extérieures qui ne satisfont que des désirs ou besoins animaux.
Toujours, j’ai senti que ma vie … la vraie … ne se trouvait que dans la profondeur, dans ce qui n’est pas visible, dans ce qui est ineffable,
Dans cette profondeur en moi … qui s’ouvre vers le mystère de mon être,
Dans cette profondeur en moi … la dernière frontière … qui s’ouvre … au-delà … vers le mystère de l’Ultime, l’autre versant du Mystère.
Sans cette certitude viscérale qui tisse chaque seconde mon existence, ma vie ne serait qu’une mort lente, telle une magnifique rose coupée … pleine d’épines … qui jour après jour se fane et finit … dans le fumier.
Voilà le fin mot de mon existence … de sa justification, de sa source et de sa fin :
J’appartiens à ce monde … mais il n’est pas mon vrai foyer.
J’appartiens à ce temps … mais je ne suis que de passage.
Je suis … finalement … un étranger qui parcourt un chemin.
Mon foyer est en Lui pour l’éternité.