Mon cher Quaesitus,
Pour toi, l’amour existe-t-il ? Oui ? comment peux-tu l’affirmer ? Il ne se voit pas, il n’est pas du domaine du démontrable. Tout le monde en parle ou le chante et personne ne l’a vu. Mais peut-on se fier aux autres pour dire que cela existe tant que l’on n’a pas expérimenté ce qu’est l’amour ? Il s’agit d’un sentiment, d’une émotion subjective que tu éprouves pour quelqu’un ou que tu ressens de la part d’une personne.
Mais peux-tu vraiment en être sûr ? Comment s’en assurer ?
Tu peux me répondre que tu l’as « vu » dans les yeux de cette personne, que tu l’as « ressenti » quand elle te prend dans ses bras. Bref, tu expérimentes que cette personne t’aime et que tu l’aimes par les effets que tu éprouves dans ton cœur et ton corps. Tu fais appel à ton ressenti, à ton intelligence mais surtout à ton intuition et ta certitude augmente en confirmant ton intuition pressentie rapidement au début de cette relation. Cette accumulation d’indices ou de signes concordants te fait éprouver une connaissance pratique et une certitude.
Cette personne part en voyage quelque temps. Cet amour va-t-il disparaître parce que tu ne la vois plus, ne la touche plus ? Non, même loin, elle reste dans ton cœur, mais tu ressens alors un manque, un vide, celui de l’absence de l’être aimé et qui t’aime.
Quand tu éprouves le désir de la revoir, ressens de l’impatience, voire de la souffrance, c’est le signe indubitable de l’absence de l’être aimé.
Tu me diras alors, oui je suis d’accord, mais je ne vois pas ce que Dieu vient faire ici.
Et si ce vide était le signe d’une absence ?
Je t’invite à te poser un instant et à t’écouter … à te souvenir.
Ne t’est-il jamais arrivé de ressentir un vide au fonds de toi, un manque d’un « je ne sais quoi » que tu n’arrives pas à identifier clairement ?
Tu cherches à le combler par des choses ou des relations avec les autres, quitte à t’en encombrer. Nos vies faites d’obligations, d’objectifs et d’envies nous font souvent vivre à l’extérieur de nous-mêmes tellement nous sommes engagés dans une course en avant effrénée.
Tout cela nous distrait de nous-mêmes.
Quand le temps d’un instant, cela se calme et que nous nous retrouvons seuls avec nous-mêmes, alors ce vide, ce manque d’un « je ne sais quoi » peut redevenir conscient. Nous ressentons une insatisfaction sourde, un désir d’être comblé mais qui reste inassouvi. Cela peut étreindre notre cœur.
Mais la vie n’attend pas, nous nous remettons à courir et nous n’y pensons plus.
Veux-tu un signe clair que tu ressens ce vide, ce manque sans peut-être vouloir te l’avouer ? Acceptes-tu volontiers d’être seul, en silence à ne rien faire ? Quelques minutes, oui, mais un jour, deux ou trois ? Je ne pense pas. Pourquoi ? Parce qu’alors tu n’es qu’avec toi et rien d’autre et c’est souvent une expérience perturbante. Tu fais alors l’expérience d’une prise de recul sur ta vie, tes expériences passées, ton présent avec ses enjeux, tes envies, tes peines … et cette sensation de manque, de vide remonte à la surface. Tu retournes promptement à ta vie qui t’attend, soulagé d’avoir mis fin le plus rapidement possible à ce temps de silence éprouvant.
N’est-ce pas, là aussi, le signe d’une absence ?
Pour moi, ce vide, ce manque que rien ne comble est l’empreinte en creux de Dieu dans le cœur de l’homme … le signe de son absence ; une sorte de pierre d’attente qui est là dès notre naissance et que Dieu a posée en nous pour que nous le cherchions. Pour d’autres, c’est le signe d’une incomplétude que rien ni personne ne pourra combler. Et pourtant comment expliquer ce désir si rien ne le suscite ?
A toi de voir.
Cette absence de « je ne sais quoi » qui te préoccupe, que tu recherches dans les choses et les êtres sans pouvoir être vraiment comblé, n’est-ce pas le signe délicat que Dieu te cherche. Il t’a créé avec cette sensation d’une absence et Lui seul peut la combler.
Mon cher Quaesitus, et si j’avais touché juste ? Reprends ma petite histoire sur l’amour. A la place de l’être aimé, pense à Dieu … et tu auras une image de ce que peut être une relation spirituelle vivante avec Lui.
Je t’ai aimée bien tard
« Je t’ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle, je t’ai aimée bien tard !
Mais voilà : tu étais au-dedans de moi quand j’étais au-dehors, et c’est dehors que je te cherchais ; dans ma laideur, je me précipitais sur la grâce de tes créatures.
Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi. Elles me retenaient loin de toi, ces choses qui n’existeraient pas si elles n’existaient en toi.
Tu m’as appelé, tu as crié, tu as vaincu ma surdité ; tu as brillé, tu as resplendi, et tu as dissipé mon aveuglement ; tu as répandu ton parfum, je l’ai respiré et je soupire maintenant pour toi ; je t’ai goûtée, et j’ai faim et soif de toi ; tu m’as touché et je me suis enflammé pour obtenir la paix qui est en toi. » (Saint-Augustin « Confessions » X)