Mon cher Quaesitus,
En 1940, les armées nazies envahissent une partie de la France. Des centaines de milliers de personnes se jettent sur les routes pour rejoindre la zone libre. Le général Pétain, un héros de la guerre de 14-18, prend le pouvoir et instaure le régime de Vichy en zone libre. Il collabore activement avec les nazis, coopération économique, arrestation des résistants et des opposants politiques dont les communistes, instaure des lois antisémites et organise des rafles de juifs qui seront ensuite déportés. Les fonctionnaires de ce régime collaborent activement avec les occupants.
Des choix imprudents
« Jésus sortit de nouveau du côté du lac. Toute la foule venait à lui et il l’enseignait. En passant, il vit Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des taxes. Il lui dit: « Suis-moi. » Lévi se leva et le suivit. » (Evangile de Marc 2.13-14 S21)
Lévi est un collecteur d’impôt juif à la solde des romains. Les collecteurs pouvaient prélever des commissions sur les impôts versés aux envahisseurs romains. Il y avait souvent des abus et ces collecteurs étaient détestés par la population qui les considérait comme des collaborateurs des occupants.
Voilà que Jésus, en chemin, s’arrête à son bureau de taxes et lui donne l’ordre de le suivre. Celui-ci lâcha tout et le suivit, il devint par la suite l’apôtre Matthieu, celui auquel est attribué l’Evangile du même nom.
Tu vois Quaesitus, deux choses me frappent dans ce récit: tout d’abord, le choix d’un disciple parmi une catégorie de personnes détestées et considérées comme traîtres et ensuite son autorité, son charisme éblouissant. Un simple « Suis-moi » et Lévi abandonne son métier et son ancienne vie pour devenir son disciple et lier sa vie à celle de Jésus.
Dans le choix de ses disciples, Jésus fut très audacieux et même imprudent. Il choisit aussi Simon le Cananite (Evangile de Marc 3:18) qui signifie en araméen le zélé, en fait un membre du parti des zélotes, un parti nationaliste qui résistait aux romains. Le fanatisme des zélotes déclenchera plus tard les guerres juives qui se termineront en bain de sang en l’an 70 par la destruction du Temple de Jérusalem et la dispersion du peuple juif dans le monde entier.
Tu imagines: Un collaborateur du régime et un nationaliste ensemble, fallait oser.
Un repas avec des parias
Mais Jésus n’en reste pas là, comme s’il voulait aggraver encore son cas et bien marquer les esprits, il va manger dans la maison de Lévi, le collaborateur et se retrouve au milieu d’un groupe pour le moins peu recommandable:
« Comme Jésus était à table dans la maison de Lévi, beaucoup de collecteurs d’impôts et de pécheurs se mirent aussi à table avec lui et avec ses disciples, car ils étaient nombreux à le suivre. Le voyant manger avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs, les spécialistes de la loi et les pharisiens dirent à ses disciples: « Pourquoi mange-t-il avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs? » Jésus, qui avait entendu, leur dit: « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs, à changer d’attitude. » (Evangile de Marc 2.15-17 S21)
Lévi, étant devenu « persona non grata » par son métier et son train de vie, s’est constitué un cercle d’amis partageant son statut de proscrit, d’autres publicains, probablement aussi des femmes et des hommes aux mœurs légères et aux métiers peu reluisants, bref Jésus se retrouve au milieu de gens peu fréquentables, des parias. Les spécialistes de la Loi et les pharisiens, des enseignants qui se veulent les garants du respect strict de la Loi, lui en font le reproche. C’est à leurs yeux tout-à-fait inacceptable qu’un rabbi, un maître enseignant comme Jésus, puisse accepter d’entrer dans une maison impure avec une telle faune.
A cette époque, un juif pur ne pouvait pas partager un repas avec des païens ou d’autres juifs considérés comme impurs sans se souiller et ainsi s’interdire l’accès au Temple ou à la synagogue. Une stricte séparation devait s’observer dans tous les domaines de la vie. D’un côté les purs et de l’autre … le reste du monde … les impurs !
Un choix décisif qui orientera toute son action
Jésus en choisissant Lévi comme disciple, puis apôtre et en partageant un repas avec lui et ses amis peu recommandables a fait le choix décisif de se mettre du côté des rejetés et des proscrits. Plus dangereux encore, il manifeste par ses actes que cette séparation des purs et des impurs est une illusion. Il renverse des critères sociaux importants, que nous utilisons aujourd’hui encore pour distinguer les gens fréquentables de ceux dont il faut s’écarter. Par là même, Jésus prend sur lui le jugement des autres pour apporter un message de libération à ceux qui sont du mauvais côté de cette barrière invisible. Encore un échange salvateur.
A ton avis, pourquoi fait-il un choix si dangereux ?
Jésus désire atteindre ceux qui ressentent le besoin d’être libérés, Lévi et ses amis en font partie. Les spécialistes de la Loi et les pharisiens par leur observation scrupuleuse de la Loi et de leur interprétation rigoriste se croient justes et purs et se rendent donc inaccessibles à une parole de libération. Ils se croient en bonne santé, une illusion et refusent les soins du médecin.
Quand Jésus pousse encore plus loin la provocation
Mais Jésus va aller encore plus loin dans la transgression de ces interdits sociaux, il va frayer avec un officier de l’armée romaine.
« Alors que Jésus entrait dans Capernaüm, un officier romain l’aborda et le supplia en disant: « Seigneur, mon serviteur est couché à la maison, atteint de paralysie, et il souffre beaucoup. » Jésus lui dit: « J’irai et je le guérirai. » L’officier répondit: « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri. En effet, moi aussi je suis un homme soumis à des supérieurs, j’ai des soldats sous mes ordres, et je dis à l’un: ‘Pars!’ et il part, à un autre: ‘Viens!’ et il vient, et à mon esclave: ‘Fais ceci!’ et il le fait. ». Après l’avoir entendu, Jésus fut dans l’admiration, et il dit à ceux qui le suivaient: « Je vous le dis en vérité, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi. Puis Jésus dit à l’officier: « Vas-y et sois traité conformément à ta foi. » Et au moment même le serviteur fut guéri. » (Evangile de Matthieu 8.5-13 S21)
Jésus parle avec un officier romain occupant son pays, il guérit son serviteur et admire la foi que ce soldat a mise en lui la trouvant plus grande que celle de son peuple pour lequel il est d’abord venu. Mais en fait, Jésus, qu’admire-t-il dans la foi de cet officier romain ?
Pourquoi a-t-il obtenu ce qu’il demandait ?
Cet homme ne sait à peu près rien de Jésus, le contenu de son catéchisme est une page blanche. Mais il a l’intuition de l’essentiel: Jésus vient de la part de Dieu avec lequel il semble avoir un lien particulier et il a le pouvoir de guérir son serviteur. L’officier est conscient au fond de lui qu’il est en présence d’un homme qui a quelque chose de plus d’où sa réponse: « je ne suis pas digne que tu entres chez moi, mais dis seulement un mot et il sera guéri ». Il sait que Jésus peut le faire et il croit qu’il va le faire. Il a une confiance simple et ferme en Jésus.
Jésus décidément, mon cher Quaesitus, est un homme surprenant et dérangeant. Il n’hésite pas un instant à casser les codes sociaux de son époque, lui juif descendant du roi David, en fréquentant des impurs, des collaborateurs, des opposants et des occupants pour guérir et libérer les corps et les cœurs de ceux qui sont conscients de leurs faiblesses et de leur souffrance.